Le ferroviaire, pilier historique de l'industrie française, se mobilise autour d'un nouveau contrat de filière signé en septembre. Ce contrat stratégique vise à renforcer la souveraineté industrielle, accélérer l'innovation, soutenir la transition écologique et faire face aux défis de recrutement dans une filière en transformation profonde. Igor Bilimoff nous éclaire sur les enjeux majeurs que ce contrat aborde et sur le rôle des organisations syndicales dans cette démarche.
À quels grands enjeux répond le contrat de filière signé en septembre ?
Igor Bilimoff : Le contrat vise à rassembler les acteurs et les parties prenantes autour de priorités stratégiques pour préparer l’avenir de la filière et rendre visibles des actions concrètes. La première mission est de préserver une filière nationale forte, essentielle pour la souveraineté industrielle de notre pays. Cela passe par un soutien accru au tissu national des entreprises, notamment par l’innovation, afin de maintenir l’avance mondiale du ferroviaire français. Une meilleure coordination et un respect des normes RSE sont également cruciaux, tout comme l’accompagnement des PME dans leur montée en compétence. Près d’un tiers des emplois de la filière est concerné !
Une autre priorité est de simplifier la réglementation, afin de mieux adapter les exigences de sécurité aux besoins de la filière et de réduire les coûts, particulièrement élevés en raison de la sur-spécification et des normes empilées qui nuisent à la compétitivité. Nous avons besoin de pragmatisme. Le deuxième axe du contrat est consacré à la transition écologique, qui évolue vers une adaptation au changement climatique. Il est essentiel ici de concilier les impératifs économiques et industriels avec les objectifs climatiques.
FO Métaux a contribué activement aux travaux du CS2F qui ont abouti à ce contrat. Quel a été le rôle des organisations syndicales, et pourrait-il être renforcé, notamment en ce qui concerne l’innovation ?
La participation des organisations syndicales a été essentielle, au point que l’on peut parler de co-construction. La FIF a coordonné les travaux du Comité stratégique de la filière ferroviaire (CS2F), et des représentants, tels que Patrick de Cara pour FO, ont joué un rôle déterminant dans l’animation et la facilitation des échanges. Les organisations syndicales ont eu l'opportunité d’aller au-delà de la préparation du contrat de filière. Un bon exemple est l’innovation, qui fait partie intégrante de ce contrat. Le CORIFER, initié dans le précédent contrat, réunit désormais experts, entreprises et chercheurs pour impulser une dynamique de recherche propre au secteur, bien qu’il ne soit pas paritaire.
Ce comité de pilotage du CS2F, où les organisations syndicales sont présentes, permet d’aborder tous les enjeux, y compris le financement. Par exemple, FO Métaux, à travers la BPI (banque publique d'investissement), pourrait contribuer à renforcer le soutien financier de l’État, ce qui serait un atout considérable.
Le contrat de filière vise à faire du ferroviaire un acteur clé de la transition écologique, bien qu’il soit déjà l’un des modes de transport les plus propres. Jusqu’où et comment prolonger les efforts en ce sens ?
Il est à la fois nécessaire et possible de poursuivre la décarbonation du ferroviaire. La FIF a publié un livre blanc en mars 2023 pour dresser un état des lieux de la filière, incluant le matériel roulant et l’infrastructure, en abordant les aspects liés à la RSE et à l’économie circulaire. Par exemple, la reprise des rails usagés pour les recycler dans les usines Saarstahl Ascoval en Moselle témoigne d’une politique industrielle intégrée. Le contrat encourage également un report modal plus poussé et un recours accru au fret ferroviaire pour réduire la présence de camions sur les routes, sans remplacer une mobilité par une autre, mais en favorisant leur complémentarité.
Le ferroviaire connaît de fortes tensions dans le recrutement, de l’ingénierie à la production. Comment attirer, former et fidéliser les nouveaux salariés, tout en assurant la mixité et l’égalité professionnelle ?
L’emploi est une question cruciale pour l’avenir de la filière. Le contrat inclut l’EDEC (Engagement de développement de l'emploi et des compétences), qui permettra de cartographier les métiers et de définir les besoins en compétences. Cela inclut la création de nouvelles formations, la reconnaissance des métiers spécifiques et la mise en place de passerelles pour attirer des salariés d’autres secteurs, comme l’automobile, touché par des restructurations. L’EDEC jouera un rôle structurant pour fidéliser les salariés en leur offrant des opportunités de développement. Quant à la mixité et l’égalité professionnelle, elles sont indispensables pour répondre aux besoins croissants en main-d'œuvre qualifiée.
La chaîne logistique ferroviaire est fragilisée, notamment par un manque de ressources et des besoins en formation. Comment peut-on y remédier ?
Le contrat de filière prend en compte la chaîne logistique au sein de son premier axe stratégique. La FIF a lancé un "club supply chain" pour identifier les enjeux de la sous-traitance et trouver des solutions, notamment par un recours accru aux financements privés, encouragés par la taxonomie verte de l’Union Européenne. Toutefois, il est clair que l’État devra conserver un rôle conséquent, en particulier pour les infrastructures. Un réseau modernisé permettrait de baisser les coûts tout en augmentant la sécurité, pour une filière plus performante et sécurisée.
Après plusieurs plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) et fermetures de sites, le ferroviaire est emblématique de la désindustrialisation en France. Comment inverser cette tendance ?
Le ferroviaire est une industrie à cycle long. Réduire les à-coups dans la production passe par une stabilisation des commandes et des financements à long terme. La filière doit mieux exprimer ses besoins et se faire entendre pour obtenir des politiques publiques cohérentes et réalistes. Elle doit se donner les moyens de croître de manière durable en investissant pour son avenir.